« J’essayais de comprendre ce qui pouvait relier les mathématiques de la « divine proportion » aux Snorkies »
Bettina Samson est née en 1978 à Paris. Elle vit et travaille à Aubervilliers. Elle est diplômée de l’Ecole Nationale des Beaux-Arts de Lyon (2003). Elle expose en France et à l’étranger depuis 2004, la galerie Sultana à Paris la représente depuis 2010.
Bettina Samson développe une pratique plastique protéiforme composée principalement de sculptures en céramique, verre ou matériaux mixtes, d’installations in situ et parfois de photographies. Ses pièces se nourrissent de références scientifiques, d’expériences pionnières et de l’histoire de la modernité qu’elle croise avec des anecdotes parallèles : perceptions réelles ou hypothétiques, culture populaire et utopies, anthropologie, artisanat et mathématiques, architecture moderne et sciences naturelles, animation et animisme... Pour chaque projet, elle détermine avec soin les matériaux et techniques, souvent artisanales, aptes à condenser ses recherches, n’hésitant pas à intégrer l’accident, les coïncidences ou des formes improvisées. Le récit laisse le pas, pour ainsi dire, à des “précipités” : installations élaborées à partir d’un contexte ou d’un site, sculptures en verre ou en céramique brute, photogrammes réalisés sans lumière visible...
Au printemps 2018, elle démarre la réalisation d’une importante installation in situ à Bègles, “La Vase et le Sel (Hoodoo Calliope)”, dans le cadre de la Commande Garonne de Bordeaux Métropole. En 2016, à la suite d’une résidence, elle a exposé le fruit de sa collaboration avec les céramistes Lucien Petit et Hervé Rousseau au Centre de Céramique Contemporaine de La Borne. Ses pièces font notamment partie des collections des FRAC(s) Ile-de-France, PACA et du MUDAC à Lausanne.
Compte-rendu de résidence
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Ma résidence au Silence du Monde s’est déroulée un mois complet en août. Je suis revenue ensuite en novembre quelques jours pour une cuisson. J’ai pu faire la connaissance et côtoyer avec bonheur plusieurs autres artistes résidents : Hélène Bleys, Estelle Chrétien, Célie Falières et Miguel Costa, outre Sébastien Gouju et Julien Tiberi dont j’étais déjà familière du travail.
Mon travail de sculpture en céramique porte sur les formes du mouvement. Je reprendrai le terme de « plasmatique » par lequel Eisenstein désigne une entité primitive en constante transformation et aux propriétés élastiques. Mes recherches ont été ici « aidée » par l’environnement de Saint-Vincent-de-Durfort, marqué par la prééminence du vent et la végétation.
J’ai réalisé deux sculptures abstraites, deux formes aventureuses qui semblent prendre vie. L’une est animée par un geste, une dynamique, l’autre est plus brouillonne. George Herriman, parlais ainsi de son Comic Strip Krazy Kat publié dans les journaux américains entre 1913 et 1944: « Krazy Kat n’a pas été conçu, il n’est pas né, il s’est juste développé. » C’est un peu ce que je cherchais, travaillant sans dessin préalable, mais prenant mon temps. Pour cela, je me suis appuyée sur la faculté qu’a la terre, en apparence masse inerte, à changer de nature et de matérialité à mesure qu’elle « prend », lorsqu’elle se retrouve et parfois s’élève dans différentes directions entre nos mains et nos doigts : à chaque étape on peut la travailler différemment. La métamorphose devient propriété de la forme et non sujet de représentation. J’ai donc accueilli mes improvisations, les accidents, les réflexes amateurs, les vraies et fausses maladresses, les stabilités instables, les relations contradictoires ou continues entre forme et informe, les coïncidences, les récurrences, dans une traversée entre processus gestuels, mise en mouvement, décrochement formels, motifs abstraits et suggestions figuratives.
La technique est risquée, car je modèle et sculpte dans la masse. Les cassures à la cuisson étaient plus importantes que je ne l’imaginais. J’en ai accepté certaines, réparé d’autres.
J’ai réalisé les finitions des deux sculptures à Aubervilliers cet hiver : au lieu d’une glaçure, elles arborent une surface de résine étudiée pour qu’elle crée un trouble, une illusion : la première forme semble être coulée dans de l’aluminium,
tandis que la deuxième est d’une matière organique qui semble aussi fraîche que de la glaise fraîche.
Les influences culturelles de ce travail mélangent l’expressionnisme des paysages de l’aquarelliste Charles Burchfield (1893-1967), les notes de Serguei Eisenstein sur l’animation et le dessin animé de Walt Disney, le cinéma de série B (le monstrueux, le fantastique), la sculpture biomorphique de Jacques Lipchitz (1891-1973) et celle de Bruno Gironcoli (1936-2010), le primitivisme, la science-fiction.
Parallèlement, à l’atelier de Saint-Vincent, j’ai mené une série de tests sur des émaux de fournisseurs : j’ai opéré des superpositions d’émaux sur les tessons en jouant sur leur incompatibilité, afin d’obtenir des réactions, des effets inattendus. J’ai maintenant un panel de résultats que je pourrai employer sur des pièces ultérieures.
Par ailleurs, je cherchais des pistes de travail autour des traces d’activités de Jean-claude Maes croisées dans sa maison, à l’atelier, à la cave, où sont stockés des milliers de rhodoïdes de ses propres films d’animation et des séquences de dessins animés belges pour enfants qu’il animait dans les années 70 et 80. Laurent-Marie nous avait présenté la salle de conservation qu’elle renferme. Je regardais en particulier comment se mettaient en mouvement des gestes dans une séquence partielle de quelques secondes d’animation. Ses figures peintes opaques parfois quasi abstraites sont des photogrammes, elles apparaissent, disparaissent de la surface transparente qu’elles envahissent, elles se dissolvent dans un temps très étalé, à la fois arrêtées et dans l’attente du mouvement. La forme et l’identité des personnages sont dans un état continu d’auto-formation et d’auto-dissolution. Je les avais bien sûr en tête en réalisant mes deux sculptures. Dans ses archives, un projet publicitaire mettant en scène les personnages des Snorkies pour la marque de lessive Persil côtoie celui, très personnel, qui occupa les dix dernières années de sa vie du Nombre d’Or. Cette œuvre métaphysique l’amena à construire l’atelier de céramique pour mener à bien la réalisation d’un livre en plaques de céramique. J’essayais de comprendre ce qui pouvait relier les mathématiques de la « divine proportion » aux Snorkies, ces créatures sous-marines télévisuelles colorées dotées d’un tuba évasé sur la tête, accessoire polyvalent dont elles se servent notamment pour avancer.