« La nature, le calme et la volupté de ce séjour, m’auront permis de retrouver un plaisir égaré... »
Né en 1978, Sébastien Gouju vit et travaille à Paris. Par le dessin et la sculpture, il manipule notre environnement visuel, le délivrant du conformisme et de l’univoque. Ses matériaux confèrent une sorte de gravité à la légèreté consumériste : ballon dégonflé en acier, kebab en grès ou jeu de cartes en inox ajouré. Un christ s’apprête à faire son saut de l’ange ; la faïence émaillée domestique la sauvagerie du hibou ou de la limace en un bestiaire luisant. L’artisanat joue les artistes ; sériel et fait-main se rejoignent dans des broderies industrielles ou des « collages » d’images imprimées copiées à la gouache.
Sébastien Gouju figure dans les collections des artothèques de Pessac, Caen et Auxerre, Strasbourg, des FRAC Champagne-Ardenne et Alsace, du CNAP et du Musée de l’image à Épinal. La galerie Semiose à Paris lui consacre plusieurs expositions personnelles en 2007, 2010, 2014 et 2016.
Compte-rendu de résidence
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C’est un 9 avril que j’ai découvert Saint Vincent de Durfort et ce sera un 9 avril que les pièces réalisées lors de cette résidence seront présentées à la galerie Semiose à Paris. Hasard et souriant clin-d’œil du calendrier, j’aime y voir l’envol du boumerang, le dessin circulaire de la spirale qui s’étend.
Ce jour fut le début d’un irrépressible besoin de quitter pendant quelque temps, le bruit et les mondanités parsiennes. Ainsi débutaient mes premiers pas dans le silence du monde. Un séjour tout aussi productif qu’inspirant.
Suite à l’invitation qui m’a été faite par Laurent Marie Joubert, nous entamions ce 9 avril, un voyage épique avec David Rodrigez, précédent résident habitué des lieux. De la naitra une profonde amitié entre nous, 8 ans après une première rencontre lors d’un autre voyage entre Metz et Sarrebruck... Mais je m’égare.
Sous le charme de cette nature si flamboyante, j’usais à tout va de mon appareil photo pour immortaliser ces instants. Certes, je devais présenter ces prémices de résidences à Camille Grosperrin et Célie Falières, mais c’est à la façon d’un touriste chinois dans Paris que je m’émerveillais devant ces paysages, son écorce et ses lichens. Il y avait ici une opportunité inouïe, pouvoir travailler avec les meilleures conditions techniques, dans le calme et au sein d’une végétation luxuriante. Il ne pouvait en être autrement, Qui mieux qu’un artiste peut répondre aux attentes d’une résidence ? Jean-Claude Maes était un artiste qui a su partager son temps entre Paris et Saint Vincent de Durfort.
Il aura fallu attendre le lundi 27 juillet pour retrouver le chemin de l’Ardèche. Et c’est sur les petites routes de campagne, la voiture pleine de matériel que nous entamions ce séjour de 6 semaines. Après avoir fait un confortable tour des spécialités locales, et avoir arpentés rivières et sentiers vallonnés nous ne tardions pas à entamer le travail. Chaque matin pendant 48 jours, c’est une sérénité joyeuse qui me conduisait à l’Atelier. L’espace était idéal, entièrement conçu par Jean-Claude Maes pour travailler la terre, étagères et plans de travail ne manquaient pas. La distance qui séparait la maison de l’atelier s’approchait de la perfection, juste ce qu’il faut pour s’échapper de l’espace domestique et entrer dans la danse.
Le peintre pourrait probablement en dire autant, mais travailler la céramique c’est une danse de la main, en bon sculpteur, il faut aussi savoir faire tourner et tourner autour de la matière. Quoiqu’il en soit l’alchimie opéra, cette cadence, qu’elle soit chamanique ou non me permit en 5 semaines de produire davantage qu’en 5 mois. Si mon travail amorçait un virage significatif depuis quelques années, mes distances vis-à-vis des utopies modernistes allaient pouvoir s’incarner dans ce petit village perché sur une colline. Le décorum d’inspiration naturaliste qui était apparu ces dernières années allait pouvoir, tel un saumon sauvage remonter à sa source. Les natures mortes que j’incarnais en faïence se réconciliaient avec le style de vie offert par le Silence du Monde. Arnaud Mondon fidèle et inénarrable voisin opérait comme un miroir amusé devant mes faïences. Alors que j’entreprenais depuis quelques jours la série des pichets, il m’avouait qu’il venait d’acquérir des volailles bien vivantes. Si je les représentais coiffant des pichets de seconde main, il nous proposait de venir les voir le soir même autour d’un jambon que nous partagions. Quelques semaines plus tard, lorsque j’entamais de faire pousser des cacahuètes aux arbres, c’est avec une poignée d’arachides à la main qu’il venait me donner une leçon de botanique. Si nos compagnons d’apéritifs poussent sous terre, je n’imaginais pas que c’était les fleurs du cacahuetier, telles des boutures, qui en germant produisaient des cacahuètes.
Il est ici histoire de production, et l’on peut difficilement savoir quelle terre fertile produira les meilleurs fruits. La nature, le calme et la volupté de ce séjour, m’auront permis de retrouver un plaisir égaré dans le brouhaha parisien. Si à la fin de la résidence on nous offrait des figues par panier, j’ai fait le voyage retour avec elles, je les retrouvais sur les étals parisiens à 9 euros le kilo. Heureux, j’abordais la fin de l’été les mains pleines de nouvelles pièces.